Association médicale canadienne

La Dre Onye Nnorom parle de justice sociale et de lutte contre le racisme envers les Noirs

10 février 2022

Dans la présente série d’articles, certains des médecins les plus engagés au Canada expliquent leur vision pour créer un avenir meilleur en santé et parlent de ce qui les motive à participer aux conversations publiques.

La Dre Onye Nnorom, médecin de famille à Toronto et spécialiste de la santé publique, combat activement le racisme envers les Noirs et s’intéresse aux iniquités en santé. Elle est notamment présidente de l’Association des médecins noirs de l’Ontario (BPAO) et anime le podcast Race, Health and Happiness.

Les médecins noirs ont parfois des obstacles à surmonter avant même de faire une demande d’admission à la faculté de médecine. Pouvez-vous nous raconter votre expérience personnelle?

Je ne suis pas sûre que les gens comprennent que le racisme envers les Noirs dans nos systèmes d’éducation et de santé et sur le marché du travail peut avoir une incidence directe sur notre parcours pour devenir médecins.

Mon père était agent d’entretien et ma mère, préposée aux bénéficiaires. Comment pouvais-je savoir comment pense un médecin? On ne peut pas tous s’offrir des cours de préparation à l’examen d’admission en médecine (MCAT) et on n’a pas tous le temps de faire du bénévolat – qui fait toujours si bonne impression dans la demande d’admission.

J’ai eu la chance de participer à un programme de mentorat pour les étudiants noirs qui m’a aidée à me préparer aux entrevues. Et même une fois admis, les Noirs sont si peu nombreux qu’on ressent la pression de représenter toute une communauté. On est à la fois hypervisibles et invisibles.

La population ontarienne se compose à environ 4,7 % de personnes noires, selon le recensement de 2016. Toutefois, seulement 2,3 % des médecins de la province sont des Noirs.

Quelles ont été les conséquences de ces expériences sur le début de votre carrière?

Lorsque les médecins sont issus d’un groupe sous-représenté en médecine, ils finissent par faire de la sensibilisation ou du mentorat en plus de leurs études ou de leur résidence, alors que leurs pairs se contentent d’étudier ou de faire de la recherche. Le travail supplémentaire en faveur de l’équité – une sorte de « taxe pour les minorités » – est peu valorisé au sein de la communauté médicale.

Sans compter que certains patients refusent d’être examinés par un médecin noir ou demandent à voir votre diplôme parce qu’ils ne peuvent pas concevoir que vous êtes qualifié. Ou, encore, vous vous faites harceler pendant que vous essayez de faire votre travail.

Nous nous sentons coupables si nous n’avons pas l’impression de réussir dans un environnement parfois dominé par les préjugés, parce que nous savons que beaucoup de personnes ont investi en nous pour nous aider à nous rendre là où nous sommes.  

Ces choses se combinent de multiples façons afin de créer plus de stress pour les médecins noirs.

L’an dernier, la BPAO a reçu une subvention de 1 M$, fruit d’une collaboration entre l’AMC, la Banque Scotia et Gestion financière MD. Comment cette somme aidera-t-elle à favoriser le bien-être des médecins noirs?

Le cœur du travail de la BPAO comprend le mentorat, la sensibilisation, le recrutement de membres, l’organisation d’événements sur la santé des Noirs et la défense des intérêts. Nous voulons voir augmenter le nombre de médecins noirs au Canada et améliorer la santé des communautés noires. Il n’existe pas d’autre grand facteur d’égalité que la justice sociale et l’élimination de l’oppression. Un médecin noir sera considéré comme moins susceptible d’avoir des préjugés racistes et aura un lien thérapeutique plus fort avec le patient.

Le système de santé est censé profiter à une population diversifiée. Plus de groupes doivent avoir voix au chapitre.

Les communautés noires ont été touchées de manière disproportionnée par la COVID-19. Comment votre travail de représentation a-t-il contribué à faire bouger les choses?

On a constaté une certaine méfiance à l’égard du gouvernement, des chercheurs et des organismes de santé publique faisant la promotion des vaccins. Avant la pandémie, ces institutions ont fait peu ou pas d’efforts pour prouver qu’elles accordaient une réelle valeur à la vie des Noirs. Cette méfiance est donc justifiée, mais nous reconnaissons, en tant que médecins noirs, que les vaccins sont notre meilleure défense contre le virus.

La BPAO a créé en avril 2021 une initiative de vaccination axée sur la santé des Noirs visant à mettre en place des cliniques de vaccination culturellement sûres pour les communautés noires et d’autres communautés racisées de l’Ontario. Nous travaillons à Toronto en étroite collaboration avec le Black Scientists’ Task Force on Vaccine Equity, qui a aidé à placer des vaccinateurs noirs sur le terrain dans les quartiers à forte densité de population noire. Ce groupe de travail a également organisé des assemblées publiques virtuelles pour répondre aux questions des gens et inspirer la confiance à l’égard des vaccins. À ce jour, nous avons administré plus de 50 000 doses dans les communautés noires et racisées.

Quels sont les défis à surmonter dans le travail de représentation?

On observe des lacunes en matière de données sur la santé liées à la race au Canada. Bien que ces données doivent être compilées, elles sont parfois utilisées pour stigmatiser les personnes et souligner à grands traits les différences plutôt que pour régler les problèmes systémiques et structurels. Les données fondées sur la race doivent être recueillies de manière respectueuse et en partenariat avec les communautés noires. Par exemple, la collecte de données fondées sur la race durant la pandémie a été déterminante dans le plaidoyer pour obtenir des ressources destinées aux communautés noires et à d’autres communautés touchées de manière disproportionnée par la COVID-19.

Quel aspect de votre travail préférez-vous?

Les patients. J’adore accompagner les gens dans leur quête de santé. J’adore rayer des médicaments de leur liste.

J’aime aussi beaucoup faire de la formation auprès des plus jeunes, notamment les étudiants en médecine; j’espère que mes expériences pourront les inspirer et que je pourrai m’inspirer à mon tour de leur regard neuf. Ensemble, nous pouvons réinventer les soins de santé.

La transcription de l’entrevue a été retouchée pour plus de clarté.

Médecins noirs avant-gardistes : autres exemples de représentation

Balado : Racism in medicine and the impact on physician wellness

« Le fait que la médecine est dépeinte comme un domaine altruiste, noble et honorable nous empêche souvent d’avancer, comme si son histoire n’était pas ponctuée d’actes de violence raciale absolument odieux qui ne sont souvent pas reconnus. » – Dr Joseph Mpalirwa

Surmonter le syndrome de l’imposteur à la faculté de médecine

« La force qui m’anime maintenant me vient en grande partie de mes mentors, des femmes médecins noires qui m’ont prise sous leur aile et m’ont soutenue. » – Dre Chika Stacy Oriuwa

Des assemblées publiques virtuelles pour favoriser la confiance dans les vaccins au sein de la communauté

« Les gens souhaitent avoir des conversations franches exemptes de mépris ou de condescendance. » – Dr Isaac Odame

À la défense du financement de la santé publique au Québec

« J’ai pu voir à quel point la santé dépend davantage des déterminants sociaux que des comportements individuels. » – Dre Ak’ingabe Guyon

5 organisations canadiennes à surveiller

Outre la BPAO, la Dre Nnorom mentionne d’autres organisations de représentation des Noirs qui aident à transformer le domaine des soins de santé au Canada.

Médecins noirs du Canada

Cette organisation soutient les médecins et les apprenants en médecine noirs et célèbre leurs réalisations afin de s’assurer que les Canadiens noirs sont équitablement représentés en médecine et que les disparités raciales en matière de santé sont éliminées partout au pays. Elle défend également les intérêts des patients noirs et de la communauté noire dans son ensemble.

The Health Association of African Canadians

Cette association de la Nouvelle-Écosse est composée de bénévoles et de chercheurs issus d’organismes universitaires, communautaires, cliniques et de politiques publiques qui cherchent à améliorer la santé des femmes noires et de leur famille. Son travail comprend la mobilisation communautaire, le développement et la recherche.

Association canadienne des étudiants noirs en médecine

Ce réseau collaboratif d’étudiants en médecine noirs de partout au pays milite pour une représentation équitable dans les facultés de médecine et une formation médicale plus inclusive.

The Black Health Alliance

Cette organisation réunit un ensemble de partenaires visant à trouver des moyens innovants de favoriser la santé et le bien-être des Noirs.

Association médicale des personnes de race noire du Québec

Cette association finance des projets de sensibilisation du public, d’amélioration des services destinés aux communautés défavorisées et de soutien aux étudiants en médecine noirs.

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