Association médicale canadienne

C’est ça, notre travail : Le Dr Naheed Dosani explique pourquoi la représentation sur Twitter est importante – en dépit des trolls

6 janvier 2022

Dans la présente série d’articles, certains des médecins les plus engagés au Canada expliquent pourquoi ils estiment que leur voix est essentielle pour assurer un avenir meilleur et ce qui les motive à participer aux conversations publiques sur la santé et les questions connexes.

Avec plus de 50 000 abonnés, le Dr Naheed Dosani est devenu une voix influente en faveur de l’équité en santé sur Twitter, mais aussi une cible de choix pour les menaces et le harcèlement en ligne. Pourtant, ce médecin de Toronto, qui a fondé le programme PEACH – un programme de formation et de soins palliatifs pour les sans-abri – et a cofondé Doctors for Justice in Long-Term Care et Doctors for Defunding Police, affirme que les trolls ne le dérangent pas. Il est d’avis que c’est simplement un indicateur qu’il aborde des enjeux délicats devant être exposés.

À propos de l’urgence de la représentation en période de pandémie

« Quand elle a frappé, la pandémie a amplifié les iniquités dont nous connaissions l’existence depuis longtemps – pensons entre autres à celles relatives au racisme systémique, aux interventions policières, aux congés de maladie payés et à l’équité vaccinale.

« Au travail, j’étais témoin de l’effet des politiques sur les personnes dont je m’occupais – elles tombaient malades et mouraient –, puis je regardais les informations ou j’allais sur Twitter et je voyais que les gouvernements ne réagissaient pas de manière appropriée. C’est d’ailleurs encore souvent le cas.

« Il a été difficile de ne pas laisser mes émotions prendre le dessus. Difficile aussi de ne pas intensifier mes efforts de représentation. Qu’il s’agisse de raconter une histoire qui touche les cœurs ou de tweeter en majuscules pour expliquer qu’une situation est inacceptable, les médecins doivent s’engager politiquement sur les questions de justice sociale qui affectent la santé. C’est ça, notre travail. »

À propos de l’inconfort des trolls

« Comme de nombreux collègues ayant fait de la représentation pendant la pandémie, j’ai reçu plusieurs menaces, y compris des menaces de mort. C’est un rappel de l’importance de ce travail.

« Le fait que celui-ci mette des personnes mal à l’aise – par exemple parce que leurs privilèges sont contestés – montre que ce sont là des enjeux délicats que nous devons exposer.

« Les messages reçus témoignent parfaitement des problèmes à l’origine du travail de représentation. »

À propos du recours aux médias sociaux pour susciter le changement

« Twitter nous donne l’occasion de façonner notre expérience narrative, que nous fassions de la sensibilisation dans la rue, dans un refuge, dans un parc ou auprès des responsables des politiques.

« Il nous permet d’humaniser l’itinérance. Il nous donne la possibilité de montrer au monde ce que c’est d’avoir de la difficulté à obtenir des soins en raison d’un trouble de santé mentale. D’être victime de discrimination parce que l’on consomme des drogues. D’être une personne racisée.

« Les réseaux sociaux deviennent un point central, une plateforme où nous pouvons directement sensibiliser le public et les responsables des orientations politiques, et montrer aux médias qu’il y a toujours deux côtés à une médaille.

« Sans la portée des réseaux sociaux, ces points de vue risqueraient de passer inaperçus. »

À propos des histoires derrière les données

« Ce qui nous inspire, les personnes avec qui je tisse des liens et moi, c’est le pouvoir de la narration. Raconter respectueusement l’histoire d’une personne mourant dans un refuge ou vivant ses derniers jours dans une voiture, par exemple.

« Cela aide les gens à connaître et à comprendre cette personne – qui devient alors plus qu’une statistique – et corrige l’idée erronée courante selon laquelle les personnes pauvres ou itinérantes sont responsables de leur situation. Nous savons que cette idée est fausse.

« L’approche narrative transcende les stéréotypes et a le pouvoir de favoriser l’empathie et la compassion, deux immenses facteurs de changement. »

À propos de la famille et de la justice sociale

« Je suis le fils de deux réfugiés ougandais venus s’installer au Canada en 1970. Mon éducation a donc été marquée par notre expérience de réfugiés immigrants. J’ai été sensibilisé à l’équité, à la justice, au bien-être de la communauté et aux déterminants sociaux de la santé, ce qui m’a amené avec le temps à voir comment les travailleurs de la santé peuvent devenir des agents de changement social dans la communauté. »

À propos d’un événement traumatisant illustrant les lacunes du système

« Pendant ma résidence, j’ai vécu une expérience transformatrice dans un refuge en soignant un homme dans la jeune trentaine.

« Il était atteint d’un cancer en phase terminale et d’un grave trouble de santé mentale. Il consommait également de la drogue, et divers milieux de soins, y compris des services d’urgence, avaient refusé de lui donner des analgésiques.

« J’ai fait tout mon possible pour l’aider et établir un lien de confiance avec lui, mais à mon retour au refuge le lendemain, on m’a annoncé son suicide par surdose d’alcool et de drogues illicites.

« Cet événement très traumatisant m’a vraiment fait prendre conscience des conséquences dévastatrices que peuvent avoir les lacunes du système de santé. »

À propos de l’innovation en santé

« Après l’obtention de mon diplôme, des collègues d’Inner City Health Associates – au centre-ville de Toronto – et moi avons créé le programme PEACH (Palliative Education and Care for the Homeless). Il s’agit d’un programme de soins palliatifs mobile prodiguant des soins dans la rue, dans des refuges, sous des ponts – bref, partout – pour que personne ne passe entre les mailles du filet. Aujourd’hui, de 120 à 130 personnes sont soignées en tout temps. PEACH est vraiment devenu un programme phare qui a inspiré la création de programmes semblables ailleurs au Canada et à l’étranger. »

À propos des considérations structurelles en santé

« En tant que médecin de proximité spécialisé en soins palliatifs, je suis naturellement bien placé pour représenter les personnes confrontées à la vulnérabilité structurelle, faire connaître leur réalité et stimuler la prise d’initiatives.

« Dans les 10 dernières années, la reconnaissance des effets qu’ont les déterminants sociaux de la santé sur les communautés a beaucoup progressé. Mais on ne parle pas des facteurs qui les entretiennent. Ce sont des sujets qui rendent les gens mal à l’aise et qui sont souvent de nature politique – racisme, xénophobie, transphobie, capitalisme, discrimination fondée sur la capacité physique, oppression et privilèges –, mais auxquels il faut accorder une plus grande attention.

« Dans le cadre de mon engagement à l’égard de la représentation, j’encourage ces conversations par des entrevues dans les médias, la création de communautés sur les réseaux sociaux et le lancement d’Amplified Health, un organisme sans but lucratif offrant de la formation aux professionnels de la santé et des services sociaux.

« J’espère que nous assisterons dans les 10 prochaines années à des avancées indispensables en médecine et en santé qui nous permettront de prodiguer les meilleurs soins possible aux personnes confrontées à la vulnérabilité structurelle. »

À propos de la nouvelle génération de médecins-militants

« De plus en plus de personnes entrent dans la profession médicale en ayant pour objectifs de stimuler le changement social et de proposer des approches de soins intégrés en collaboration avec des professionnels d’autres secteurs (juridique, communautaire, services sociaux, etc.).

« Un nombre grandissant d’étudiants en médecine disent vouloir s’attaquer simultanément aux inégalités sociales et aux troubles biologiques. C’était plus rare avant.

« Et même s’il reste encore beaucoup à faire, la représentation en médecine est de plus en plus diversifiée. La profession médicale n’est pas encore à l’image de la population canadienne, mais elle s’en approche petit à petit. »

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